Luminaires Art-Déco des années 30
Structures métalliques de formes géométriques
Raphaël Armand

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à propos

Raphaël Armand, designer, éclairagiste, conçoit et fabrique des luminaires en respectant l’esprit des architectes d’avant-garde des années 30
et renoue avec la tradition des métalliers de l’entre-deux guerres tout en l’adaptant aux normes du XXIe siècle.
La mission qu’il s’est donnée est de rétablir le lien incontournable entre la géométrie de l’architecture et celle de la lumière.

PRIX ET DISTINCTIONS

2017 : Médaille d’argent des métiers d’Arts, prix du Bâtiment (Building Award)
Académie d’Architecture, Fondation Paul Sédille 1877
2019 : Le geste d’Or 2019
Récompense de restaurations remarquables


Mais ou donc peut on voir des luminaires de Raphaël Armand ? Principales réalisations entre 2012 et 2023 pour d’« ICONIC HOUSE »

Villa Cavrois Robert Mallet Stevens Croix 1934
Villa E1027 Jean Badovici / Eileen Gray Cap Martin
Villa Trapennard Robert Mallet Stevens Sceaux 1931
Palais de la Porte Dorée Albert Laprade Paris 1931
Eglise Saint Léon Emile Brunet Paris 1924
Maison de la Culture Le Corbusier Firminy 1965
Palais des Congrès M.Chappey Issy Les Moulineaux 1935
Hôtel Particulier de Robert Mallet Stevens Paris 1927
La maison du marin Soc.Œuvres de mer Le Havre 1931
Hôtel Hatier Subit/Gouyon St Etienne 1930
Palais du commerce Ferdinand Bauguil Paris 1924
Marie du 5eme – Jacques Marrst Paris 1929
Banque Dupont Joseph Marrast Paris 1929
Immeuble des soieries Rosset Georges Curtelin Lyon 1932
Chambre des métiers – 58 Av Foch Lyon 1925
Hôtel Le Majestic Théo Petit/Charles Nico Cannes 1928
La Villa Thierry Marx Tony Garnier 1929
Le Majestic Arcas Chessy 2017
Le Charleston Chessy 2018
Le Carré Eden Arcas Clamart 2022
Hôtel Les Croisées Paris 1880
Le Cadet – Paris
Le Tsuba – Paris
Cinéma Jacques Durant – St Omer
Cinéma des Variétés – Nice

SIGNES DISTINCTIFS

Solidité de l’appareil, équilibre des proportions

Retrouvez, grâce à l’éclairage, le caractère structurant et épuré de l’architecture art déco et moderniste des années 30

A propos, par Eric Monin

"Raphaël Armand est un de ces personnages qui donnent l’impression de pouvoir résoudre n’importe quel problème d’un simple coup de baguette magique. Pourtant, derrière cette facilité apparente qui lui a permis de rendre une part d’authenticité à plusieurs édifices remarquables alors plongés dans un état de dégradation avancé, se cache une approche laborieuse combinant à la fois une grande sensibilité et un pragmatisme parfois déroutant.

Concepteur et fabricant d’appareils d’éclairage s’inspirant des caissons lumineux logés dans les plafonds de nombreux intérieurs art déco, Raphaël Armand est une sorte d’autodidacte qui a grandi dans l’univers des anciennes salles de spectacles avec leurs techniques, leurs matières et leurs odeurs caractéristiques, avant d’être confronté au monde des antiquités du XXe siècle en tant que préparateur et commis dans une salle des ventes aux enchères lyonnaise. Après avoir suivi une formation d’éclairagiste de théâtre qui l’a également conduit à fabriquer des décors pour le TNP et l’Opéra, il s’est laissé prendre au piège de l’histoire en se passionnant pour le mouvement des Arts-Décoratifs qui est en quelque sorte devenu son corps de métier.

C’est le goût de l’objet qui l’a finalement poussé à s’intéresser aux luminaires de cette époque, une période marquée en France par des recherches foisonnantes dans le domaine de l’éclairage artificiel électrique comme en témoigne la somme rassemblée en 1930 par Guillaume Janneau sur Le luminaire et les moyens d’éclairage nouveaux1 . Enfin, après avoir réalisé quelques luminaires pour des travaux de rénovation, il est mandaté en 2013 par le Centre des Monuments Nationaux pour travailler avec Béatrice Grandsard de l’agence Goutal à la restitution des luminaires et des pendules de la Villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens à Croix. Une magie bien réglée Après nous avoir ouvert la porte de son appartement lyonnais où nous l’avons rencontré2 , et tandis qu’il nous entraîne dans un salon aux murs anthracites, Raphaël Armand ne peut s’empêcher d’apporter quelques précisions sur le décor des lieux, comme s’il tenait déjà à justifier une démarche largement dicté par le sens du détail : « Aujourd’hui, la peinture au rouleau n’a vraiment aucun intérêt. Seule une application au pinceau dans le sens du fil permet aux murs de prendre la lumière. Regardez, la lumière est une matière qui agit ! »

En quelques mots, nous voici instantanément transportés au cœur d’un problème qui occupait nombre d’architectes pendant les années vingt. Parmi eux, et avant même de devenir le premier président de l’Union des Artistes Modernes, Robert Mallet-Stevens s’engageait sans réserve pour une architecture repensée à l’aune des pouvoirs fascinants de la lumière artificielle. Dans le premier numéro de la revue Lux publié en janvier 1928, il précise d’ailleurs que « l’architecte moderne peut « jouer » avec la lumière, et comme emplacement et comme intensité. Il place et il dose. Par là même, il accentue ou diminue les reliefs de la matière, il met en valeur les couleurs, il affirme les lignes, il crée de la gaieté, du bien-être3 . » Dans ses articles consacrés aux vertus de la lumière électrique, Mallet-Stevens aime également citer les propos d’Émile Trélat, son vieux maître de l’École spéciale d’architecture, qui expliquait dans ses cours, comment « la forme est l’intersection de la lumière et de la matière4 ». Dans ces conditions, l’architecte n’a plus le choix et il se doit finalement d’« être maître de l’une et de l’autre, s’il veut engendrer une œuvre durable5 . » Pour cela, il aura recours à la géométrie des formes et des faisceaux lumineux pour contrôler de son mieux les effets plastiques qui résultent de cette rencontre soigneusement orchestrée avec le soutien des premiers ingénieurs éclairagistes qui mettent leurs compétences au service de l’architecture. En effet, l’« esthétique de la lumière6 » qui s’est imposée depuis l’exposition internationale des Arts décoratifs de Paris en 1925, dépend de l’efficacité d’une technique toujours plus précise et sophistiquée7 . Si l’architecte a le pouvoir de susciter l’émerveillement grâce aux jeux de lumières qu’il convoque dans ses édifices, Mallet Stevens est bien conscient que « ce rôle de « magicien » demande une étude sérieuse et approfondie, le hasard, comme dans les sciences exactes, n’apportant que rarement sa part8 . » Pour la villa Cavrois qu’il réalisa à Croix près de Lille, c’est André Salomon qui fut chargé d’effectuer cette étude dont les solutions furent publiées dans la revue L’Architecture d’Aujourd’hui en novembre 19329 . Salomon concentrait alors tous ses efforts sur la production d’un éclairage indirect, une technique permettant de créer « à volonté, des oppositions d’ombre et de lumière dont les effets peuvent être déterminés à l’avance10. » Comme l’avaient déjà montré Outre-Atlantique les ingénieurs de la société Holophane11, l’éclairage architectural résultait désormais des effets prédictibles et bénéfiques d’une lumière bien contrôlée et soumise aux exigences de la maîtrise d’œuvre. Près d’un siècle après ces premières expériences, et au moment de raviver, dans une maison presque entièrement reconstituée, le souvenir des effets d’une lumière oubliés, Raphaël Armand prit vite conscience de la nécessité d’entreprendre un voyage à rebours pour saisir le phénomène à sa source. Comme Salomon en son temps, où l’éclairage artificiel était l’affaire de quelques spécialistes méticuleux et bien attentionnés, il semblait alors normal d’adhérer à cette science de l’éclairage pour se convertir à un art de la lumière fait de mesure et de nuances. Bien plus que la diversité des sources disponibles, c’est la manière subtile de contrôler « l’action de celles-ci sur différents plans ou surfaces12 » qui permettait aux ingénieurs de décliner toute une gamme de possibles. Pour atteindre cette richesse en terme d’effets lumineux, ils devaient alors apprendre à composer avec des appareils ayant « pour fonction de « façonner », suivant les besoins, la lumière produite par les lampes13. » Connus pour leurs lignes, leurs formes et la noblesse des matières dont ils étaient faits, ces dispositifs n’ont trop souvent motivé que des regards curieux vaguement intéressés par ces accessoires venant troubler la netteté d’un mouvement, l’élan d’un beau geste attribué à un ensemblier de renom. Pourtant, les ouvrages techniques de l’époque nous rappellent l’importance de ces éléments sources d’harmonie. Dans la préface de l’Album de l’éclairage 1929 édité par la revue Lux, Robert de Valbreuze, administrateur délégué de la Société pour le Perfectionnement de l’Éclairage rend hommage aux spécialistes des problèmes d’éclairage, des hommes capables « de façonner la lumière pour en tirer le meilleur parti possible au point de vue diffusion, répartition et économie14 », grâce à toute une gamme d’appareils chargés de domestiquer la lumière, l’adapter aux lieux et aux fonctions qu’elle dessert15. Soigneusement réglée, cette rencontre de la lumière 6 Album de l’éclairage 1929, Paris : éditions de la revue Lux, 1929, p. 94. 7 Monin (Éric), « À la recherche d’une lumière exacte », in Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXe siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, dir. Franz Graf, Giulia Marino, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 280-291. 8 Voir note 3, p. 6. 9 Salomon (André), « L’installation électrique », L’Architecture d’Aujourd’hui, n°8, novembre 1932.p. 20-23. 10 Salomon (André), « L’éclairage moderne », Art et Décoration, janvier 1929, p. 28-32. 11 Monin (Éric), « La lumière savante des verres prismatiques Holophane », in Le jeu savant. Luce e oscurità nell’architetettura del XX secolo – Light and Darkness in XX Century Architecture, dir. Silvia Berselli, Matthias Brunner, Daniela Mondini, Mendrisio : Mendrisio Academy Press, 2014, p. 249-257. 12 Salomon (André), « L’éclairage moderne », Art et Décoration, janvier 1929, p. 28-32. 13 L’éclairage des ateliers, SPE n°6, 1934, p. 57 « Appareils d’éclairage ». 14 Voir note 6, p. 3. 15 Société pour le Perfectionnement de l’Éclairage, Projets d’éclairage. Appareils, annexe n°1 de la brochure n°4, Paris : Société pour le Perfectionnement de l’Éclairage, 1929. avec l’architecture par le truchement d’appareils d’éclairage bien choisis, constituait le point de départ de la reconquête d’un héritage dont on n’avait gardé qu’un vague souvenir. Les secrets d’une superproduction Après la mise à sac de la villa Cavrois16 et en l’absence de documentation graphique détaillée17, les travaux de restauration de l’édifice entrepris entre 2003 et 2015 se sont principalement appuyés sur des sources photographiques venant compléter une étude archéologique du bâti. La restitution des appareils d’éclairage qui avaient fait l’objet de tant de soin lors de la construction de l’édifice constituait alors une gageure en raison du manque cruel d’information sur ce sujet. En considérant les très modestes traces imprimées dans les restes de la maison dévastée, Raphaël Armand entreprit tout d’abord une enquête approfondie qui le conduisit dans différents fonds d’archives français et étrangers pour tenter de capter quelques éléments susceptibles d’éclairer son projet de reconstitution. Enfin, comme pour la restitution de multiples détails composant le décor intérieur de la villa, il eut recours aux prises de vue effectuées tout au long du XXe siècle pour étayer son expertise. Cette démarche originale mérite d’être resituée dans un contexte élargi qui entretient d’ailleurs des liens évidents avec la pensée qui a présidé à la création de la villa. En effet, fonder la restauration d’un édifice et de son système d’éclairage artificiel en particulier, sur un corpus d’image montrant les effets plastiques qui pouvaient résulter de l’installation initiale, rejoint étonnamment les déclarations d’André Salomon au moment de la conception du projet concernant l’éclairage des intérieurs de la maison. L’attention extrême portée aux effets d’éclairage dans une construction18 serait donc susceptible de modifier les règles du jeu en matière de restauration architecturale. Ce ne serait plus l’équipement d’un édifice qui serait restitué comme par exemple la poignée d’une porte ou le galbe d’un miroir, mais l’effet qui en résulte. L’ouvrage serait alors pensé comme un spectacle de lumière agissant sur un décor qu’il est chargé de mettre en valeur selon les consignes d’un architecte metteur en scène, exécutées par son ingénieur éclairagiste. La restitution des appareils d’éclairage induirait alors une situation inédite où le projet de sauvegarde19 serait moins centrée sur l’authenticité des appareils recomposés que sur les ambiances qu’ils commandent. Dans la réalité, les choses sont cependant plus complexes, et l’attention portée dans les années vingt à l’élégance des systèmes d’éclairage prouve combien, à cette époque, les causes et les effets s’imbriquaient étroitement dans un même projet esthétique. La question mérite toutefois d’être posée en raison des expériences menées précisément par Robert Mallet-Stevens dans le domaine du cinéma. Au-delà des vertus documentaires des décors qu’il a réalisés pour Marcel L’Herbier et qui permettent de comprendre quelques principes d’éclairage mis en œuvre dans son architecture, le cinéma fut pour Mallet-Stevens un moyen de penser les rapports entre décors historiques et spectateurs comme une mise en perspective de l’architecture et de ses intérieurs bien réglés, à travers le prisme déformant de l’histoire. À ce titre, le texte sur le décor de cinéma qu’il publie en 1929 dans la revue L’Art cinématographique peut être lu comme un recueil de consignes susceptibles d’orienter substantiellement le travail du restaurateur, confronté, tout comme le décorateur, aux questions du réalisme des « décors de reconstitution historique20 ». Plus ou moins conscient des écarts temporels et culturels qui le séparent du projet initial, le visiteur qui parcourt aujourd’hui la villa Cavrois restaurée ne se trouve-t-il pas dans une situation assez proche 16 Klein (Richard), Robert Mallet-Stevens. La villa Cavrois, Paris : Picard, 2005. Voir notamment la « chronologie de la villa Cavrois », p. 206-208. 17 Idem, p. 35. 18 Voir note 12, p. 30. 19 L’expression empruntée à Franz Graf – Graf (Franz), Histoire matérielle du bâti et projet de sauvegarde. Devenir de l’architecture moderne et contemporaine, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 – est ici employée abusivement en raison de l’état de dégradation très avancé des intérieurs de l’édifice restauré qui ne pouvaient plus être strictement « sauvegardés » au moment de leur protection administrative. 20 Mallet-Stevens (Robert), « Le décor », art.cit., p. 13. de celle du spectateur qui assiste à une reconstitution historique ? Mallet-Stevens affirme comment « un chapiteau « vrai » par exemple, ne donnera sur l’écran qu’une mauvais idée de la réalité ; au contraire, sculpté pour la prise de vue, avec certains reliefs mis en valeur, certaines formes affirmées, il procurera l’impression plus exacte du modèle21. » Finalement, faut-il privilégier l’effet aux dépends de la réalité ? Plongé dans l’action, Raphaël Armand adhère intuitivement à cette conception du monde comme le montre par exemple les choix effectués pour restituer les appliques de type L de la villa Cavrois. Initialement faits d’un mélange de filasse de chanvre et de plâtre peint, comme l’a montré un spécimen conservé dans la salle de bain du cabinet de Madame au premier étage, les appareils recomposés pour les pièces d’eau de la maison seront réalisés en polyester. « À l’époque, les ampoules de 70-100W avaient tendance à chauffer énormément, précise Raphaël Armand. Elles brûlaient le chanvre et le plâtre qui avait tendance à jaunir en un rien de temps sous l’action de la chaleur. » Aussi, en l’absence de moule d’origine, un nouveau mannequin fut réalisé en tentant de prendre en compte les rétractations dues au séchage. « Pour trouver un artisan capable de faire tout cela, je suis allé chercher un fabricant de bateaux, car finalement la technique utilisée est celle employée pour réaliser des canots ». « Le résultat est identique, » poursuit Raphaël Armand, comme si cette recherche à la marge des techniques agréées par les Monuments historiques était une manière de raviver l’audace de l’architecte-ensemblier persuadé qu’au cinéma, « l’accessoire de carton est plus vrai souvent que l’accessoire en porcelaine fine ou en métal précieux22 . » Enfin, depuis la livraison de la maison en 1932, les exigences en matière d’intensité lumineuse n’ont cessé d’augmenter, creusant ainsi des écarts considérables en terme de perception du projet. Tandis qu’en 1935, il raillait la « lueur de veilleuse » produite par les anciens dispositifs d’éclairage à combustibles au regard de « l’éclairage puissant » des nouvelles lampes électriques, Robert Mallet-Stevens se laissait lui-même prendre au piège du cycle infernal du progrès, n’imaginant pas les bouleversements qu’allaient encore connaître les systèmes d’éclairage contemporains. Les sources de lumière initialement choisies puis leur rapide évolution en fonction des nouvelles technologies laissent Raphaël Armand perplexe quant à la qualité des premiers éclairages de la villa : « l’emploi de linolites puis de tubes fluorescents bourdonnants devait alors donner à l’ensemble un air lugubre, bien moins lumineux qu’actuellement. Ces appareils devaient surtout dégager une chaleur non négligeable ! » Convoquée ici à demi-mot dans le registre des ambiances liées à l’histoire des équipements techniques du projet architectural23, la notion de réception joue un rôle essentiel pour définir les choix opérés lors de la restauration de la villa. En effet, façonnées par l’évolution rapide des sensibilités, les horizons d’attente n’arrêtent pas de fluctuer, réinventant sans cesse une architecture dont les formes sont continuellement chahutées par le remplacement des sources et des appareils d’éclairage. Aussi, pour échapper au mouvement perpétuel de ce grand carrousel des effets architecturaux, Raphaël Armand a décidé de privilégier le savoir-faire de l’artisan, persuadé que le soin apporté à la fabrication et au réglage des appareils d’éclairage, révèle toute la spécificité d’un système, source de multiples interactions avec l’architecture. L’énigme tigralite Lorsqu’il entreprit la restitution de l’appareil d’éclairage installé au plafond de la chambre de garçon située à l’extrémité Est de la demeure, Raphaël Armand n’avait pas imaginé la complexité du dispositif auquel il allait être confronté. Contrairement aux autres systèmes d’éclairage indirect installés dans la villa, l’appareil placé au centre d’un caisson de staff cylindrique creusé dans le plafond de la pièce, n’avait pas été conçu par André Salomon mais par Jean Dourgnon. Baptisé « tigralite », ce système élégant laissait voir un empilement horizontal de disques de verre dépoli d’où sortait une lumière diffuse. Le nom de l’appareil ne renvoyait à aucune référence exotique précise, si ce n’est un clin d’œil au second prénom de son inventeur, Jean-Tigrane Dourgnon, dont le père Marcel Dourgnon, architecte du musée des Antiquités égyptiennes au Caire24, avait très certainement fréquenté Tigrane Pacha, ancien ministre des Affaires étrangères et membre du comité de conservation des monuments de l’art arabe25. Cette appellation étrange et presque fantaisiste, cache en réalité un dispositif finement calibré par un ingénieur éclairagiste précis et méticuleux. Dans le brevet qu’il dépose le 25 avril 1928, Jean Dourgnon ne décrit pas simplement un luminaire, il présente un « système d’éclairage indirect » adapté aux plafonds plans, combinant un dispositif optique à « des organes ou dispositifs anti éblouissants et directeurs accessoires susceptibles de participer à la décoration de la pièce à éclairer26. » Ce système qui ne s’appelle pas encore « tigralite », est pensé par Dourgnon comme un équipement périphérique permettant de croiser des flux lumineux parallèles redressés par une lentille torique, afin d’éclairer uniformément les plafonds en éliminant les zones d’ombre. Prioritairement cantonnés dans les angles des pièces ou au milieu de leurs côtés opposés en étant équipés d’optiques « en forme de quart de circonférence » ou de « demi-circonférence », les appareils peuvent aussi s’étirer de manière plus ou moins continue autour des plafonds avec « une sorte de moulure de verre » servant à remplacer le système optique initial. Fondé sur une solide approche technique soucieuse du confort physiologique des usagers27, ce dispositif intègre également un volet plastique qui montre combien Dourgnon s’inscrit dans une lignée de créateurs de luminaires français veillant au caractère original de leurs appareils. Enfin, en utilisant explicitement les plafonds comme des réflecteurs et en jouant avec la couleur des parois contre lesquelles sont plaquées les optiques pour produire une lumière partiellement colorée, le système proposé par Jean Dourgnon s’accordait parfaitement avec les principes de Robert Mallet Stevens, et sa présence dans la villa Cavrois était totalement légitime. C’est précisément cette connivence entre lumière et architecture qui commande le travail de restitution de Raphaël Armand. En l’absence de sources détaillées permettant de reproduire directement l’appareil28, et après s’être patiemment intéressé aux différentes apparitions du tigralite dans les publicités, communiqués et articles de presse de l’époque pour tenter d’en cerner le profil, Raphaël Armand entreprendra une série de recherches en atelier en s’intéressant aux interactions entre un appareil énigmatique et son environnement immédiat. En d’autres termes, le tigralite prit sa forme et ses dimensions restituées, à force de réglages successifs permettant de contrôler les effets du luminaires sur les parois de son caisson et le plan du plafond. Ce travail long et fastidieux avec une lumière devenue presque palpable et tangible, résultait de l’approche matérielle mise en place dans l’atelier lyonnais où fut réalisé le modèle en contreplaqué qui a permis de tester la taille, le diamètre du luminaire, la profondeur de la niche et son diamètre qui a été fixé à 1,80m. « Le luminaire, c’est le plafond », insiste Raphaël Armand. « Dans ce projet de restitution, on ne pense 24 Voir à ce sujet, Crosnier Leconte (Marie-Laure), Morlier (Hélène), Marcel Dourgnon, 29 septembre 1858-18 octobre1911, [en ligne], https://books.openedition.org/inha/7004, consulté le 2 janvier 2020. 25 Comité de conservation des monuments de l’art arabe depuis sa fondation jusqu’à nos jours, in : Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe. Fascicule 20, exercice 1903, 1903. pp. 1-3, [en ligne], https://www.persee.fr/docAsPDF/ccmaa_1110-6824_1903_num_1903_20_10806.pdf, consulté le 2 janvier 2020. 26 Système d’éclairage indirect pour appartements et autres applications. Brevet d’invention n°667.739 demandé le 25 avril 1928 et délivré le 24 juin 1929, [en ligne ], https://bases brevets.inpi.fr/fr/document/FR667739/publications.html ?p=5&s=1577976079237&cHash=1a84dd07d5858a036c1f387 f544b5c35, consulté le 2 janvier 2020. 27 Jean Dourgnon restera fidèle à cette conception de l’éclairage artificiel, comme le montre le chapitre qu’il consacre aux « appareils d’éclairage » dans l’ouvrage qu’il publie en 1958 avec Maurice Leblanc et Maurice Déribéré : « Les sources de lumière doivent impérativement être placées dans des appareils ou luminaires destinés à en dissimuler la lumière directe et à contrôler celle-ci pour l’utiliser au mieux en éclairant les objets. » Leblanc (Maurice), Dourgnon (Jean), Déribéré (Maurice), L’éclairage et l’installation électrique dans le bâtiment, Paris : Eyrolles, 1958, p. 311. 28 Le « tigralite 360° » décrit par André Salomon dans le tableau paru dans la revue L’Architecture d’aujourd’hui (voir note 9) représentait un modèle rarement employé, contrairement au tigralite 180° plus couramment publié. pas luminaire, on pense plafond ! Les systèmes d’éclairage et l’architecture doivent être appréhendés dans leur globalité, sans oublier que chaque détail est un système ! » En effet, sortie de sa source, la lumière est canalisée, orientée, réfractée, réfléchie dans un appareil où le métal a été coupé, soudé, chromé, poli, le verre dépoli, biseauté. En travaillant la matière, l’artisan travaille la lumière, c’est elle qui donne sa forme au luminaire. Des tests d’éclairage ont également accompagné ces recherches pour affiner le choix de la lampe, déterminer le diamètre des pièces en verre et le réglage des ailettes pensées par Dourgnon comme « des écrans parallèles entre eux et de préférence parallèles au plafond destinés à arrêter les rayons lumineux qui pourraient être dirigés vers le bas et à les renvoyer éventuellement vers le plafond29. » Peu à peu, le dispositif a pris vie et les différentes options furent validées par Béatrice Grandsard lors de campagnes de tests in situ où des modèles en carton avaient été installés avant d’être photographiés pour faciliter la comparaison avec les images d’époque et aboutir à une solution que Raphaël Armand juge « probable, proche de la vérité. » Mais la satisfaction de rendre sa forme à un dispositif exceptionnel disparu depuis plusieurs décennies n’interdit pas la critique. En effet, Raphaël Armand reste très lucide et circonspect quant aux vertus d’un luminaire apparemment très difficile à entretenir : « Le changement des lampes devait s’avérer infernal compte tenu de la hauteur des plafonds et la difficulté d’ouvrir le dispositif sans le casser ! Les moustiques et les mouches devaient également adorer loger entre les ailettes, grillées par la chaleur de la lampe. D’ailleurs, le tigralite a très vite disparu… » L’histoire de ces restitutions lumineuses révèle toute la difficulté de penser les ambiances originelles d’un édifice sans se laisser aveugler par les formes. En soulignant toutes les recherches et les expérimentation nécessaires à la reconstruction d’un objet et d’un effet disparus, elle montre comment il s’avère essentiel de penser chaque intervention comme un cas particulier qui doit être préalablement documenté, compris, exploré dans toutes ses dimensions pour saisir la diversité des interactions que l’objet restitué entretient avec l’architecture. La recherche des traces in situ joue évidemment un rôle clé dans ce processus de reconstruction, mais il ne faut pas négliger la capacité de dépasser les méthodes traditionnelles pour la cohérence d’un projet qui résulte moins de l’observation scrupuleuse d’une approche doctrinale, que d’« une invention canalisée par l’écoute attentive du passé »30. 29 Voir note 26, p. 2. 30 Voir la préface de Zemon Davis (Natalie), Le Retour de Martin Guerre, Paris : éditions Tallandier, 2008, p. 5
Architecte, docteur en sciences pour l’ingénieur, professeur HDR à l’ENSAP de Lille, chercheur au LACHT, ses recherches portent sur l’histoire des ambiances architecturales, les composants du second œuvre depuis la seconde guerre mondiale et l’éclectisme des représentations architecturales"
L’histoire de l’architecture du XXe siècle raconte les grandes mutations d’un art de bâtir sans cesse soumis aux nouveaux pouvoirs de la technique. L’éclairage artificiel électrique fait parti de ces équipements qui ont suscités de nouvelles expertises qui ont suscités des savoir-faire originaux.
Les innombrables opportunités plastiques associés à cette avancé technique ont prouvés dès les premières décennies du XXe siècle comment la lumière électrique peut servir à façonner des formes, révéler des matières, souligner des textures. Ce constat oblique aujourd’hui à prendre en compte ces dispositifs d’éclairage dans la restauration des édifices qu’ils équipaient initialement. L’architecte restaurateur ne peut évacuer cette question essentielle, trop longtemps oubliée. Suite à la restauration de la Villa Cavrois – un projet supervisé par Béatrice Grandsard de l’agence Goutal-, cet article propose de s’intéresser au travail de restitution lumineuse effectué par Raphaël Armand, en révélant les trucs d’un magicien de la lumière qui ont permis de raviver une œuvre endormie.

Eric Monin
Architecte, docteur en sciences pour l’ingénieur, professeur HDR à l’ENSAP de Lille, chercheur au LACHT, ses recherches portent sur l’histoire des ambiances architecturales, les composants du second œuvre depuis la seconde guerre mondiale et l’éclectisme des représentations architecturales"
Architecte, docteur en sciences pour l’ingénieur, professeur HDR à l’ENSAP de Lille, chercheur au LACHT, ses recherches portent sur l’histoire des ambiances architecturales, les composants du second œuvre depuis la seconde guerre mondiale et l’éclectisme des représentations architecturales"

1 Guillaume Janneau, Le luminaire. Procédés d’éclairage nouveaux, Paris : éditions Charles Moreau, 1992, p. 211.
2 Cet article fut initié à partir d’un entretien avec Raphaël Armand qui eu lieu à Lyon le vendredi 15 novembre 2019.
3 Mallet-Stevens (Robert), « L’Éclairage et l’Architecture moderne », Lux, la revue de l’éclairage, n°1, janvier 1928, p. 6-9.
4 Ibid., p. 9, Mallet-Stevens (Robert), « L’Éclairage moderne », BIP, n°82, septembre 1935, p. 159-160 et également Mallet-Stevens (Robert), « Le décor », L’Art cinématographique, éd. Félix Alcan, Paris, 1927, p. 1-23.
5 Mallet-Stevens (Robert), voir note 2, p. 9.

21 Idem, p. 17. 22 Idem, p. 21. 23 Voir à ce sujet : Banham (Reyner), The Architecture of the Well-tempered Environment, London : The Architectural Press, 1969.

Un alliage subtil de plaque optique dans des structures métalliques de formes géométriques, s’intégrant harmonieusement dans la plupart des intérieurs du XX et XXI ème siècle.

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